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Élevage contesté Les attentes divergentesdes associations animalistes

Il y a celles qui veulentla fin de l’élevage et celles qui incitent à des évolutions sur le bien-être animal existant. Tour d’horizon.

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Mais que veulent les associations de défense animale ? Il n’y a pas une semaine sans une actualité autour de vidéos, de procès, d’intrusion dans un élevage, de tags sur les devantures des boucheries. Pourtant, sous cette appellation commune, les associations mènent des combats différents.

Il y a d’un côté les « welfaristes », qui militent pour augmenter le niveau du bien-être animal dans les élevages et les abattoirs. Dans cette catégorie, se rangent l’OABA (Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir), la plus ancienne de toutes, Welfarm et CIWF (Compassion in World Farming). Elles discutent avec les organisations professionnelles agricoles malgré des divergences parfois fortes. Dans les médias, elles font toutefois moins de tapage que la deuxième catégorie, celle des associations dites abolitionnistes : ces dernières veulent non pas le bien-être des animaux, mais directement la fin de l’élevage.

But véritable :la fin de l’élevage

Dans la catégorie des abolitionnistes, L214 est la plus connue, y compris auprès des pouvoirs publics et des élus de la République. Elle a publié depuis 2015 plus d’une centaine de vidéos d’élevages et d’abattoirs, commentées par des journalistes ou des animateurs connus, des stars du cinéma. Elle a interpellé de grands groupes agroalimentaires. Certains ont obtempéré. Brigitte Gothière, cofondatrice de cette association antispéciste, nous précisait, il y a un an, le sens de son engagement : « L’intérêt à vivre des animaux est supérieur à celui des humains de manger de la viande. » L214 veut favoriser, grâce à ces vidéos choquantes, le glissement vers des régimes végétariens (1) ou, mieux, végans (2). Elle s’appuie sur les « progrès » des compléments alimentaires. Sa lutte pour le bien-être animal cache le but de son action : l’arrêt de tout élevage vue comme la seule manière de mettre fin à la souffrance animale et à la mort en abattoir.

Financementsaméricains

Cette association est la plus riche de toutes. Elle emploie soixante-dix salariés et communique avec une redoutable efficacité sur les réseaux sociaux. Une dizaine de sites internet lui sont directement attachés. Avec une sobriété voulue et une disponibilité à toute épreuve, ses deux porte-parole, totalement investis dans la cause, ont séduit des médias peu critiques sur les méthodes employées et peu regardants sur les chiffres martelés. Il y a quand même un accroc à cette image d’icône : le financement des activités de L214 par Open philanthropy project (OPP), qui lui a apporté 1,14 million d’euros (M€) en 2018, puis 1,14 M€ en 2019. Cette richissime structure californienne n’est pas une ONG, mais une société privée bénéficiant d’un régime fiscal avantageux. Elle a été créée par un des cofondateurs de Facebook, Dustin Moskovitz. Selon la chercheuse de l’Inra Jocelyne Porcher, cela souligne une fois de plus la connivence de l’association avec les intérêts des zélateurs de la viande cellulaire (lire son interview page 16). En échange de cette manne financière, que L214 assume sans problème, l’association s’est engagée à dénoncer les souffrances des volailles, à promouvoir le véganisme dans les universités et à pérenniser sa structure.

Extrémistes

Mais les actions de L214 laissent sur leur faim des militants plus extrémistes. Ces derniers ne veulent pas attendre que la population devienne végane. On a donc vu se multiplier des groupuscules aux méthodes musclées. Ils se réclament de la désobéissance civile et s’autoproclament lanceurs d’alerte. On entend un peu moins parler, ces derniers temps, de L269 Libération animale, qui prône « des actions directes, la violence stratégique et la création d’espaces de résistance ». Elle est devenue plus discrète après plus d’une dizaine de procès auxquels elle a eu à faire face après des blocages d’abattoirs.

Mais d’autres associations ont relevé le gant en reprenant la rhétorique et les références à l’Holocauste dans leurs slogans. Comme Boucherie abolition, née en 2016 à l’initiative d’anciens militants de L214. Quatorze d’entre eux sont en ce moment en procès devant le tribunal d’Évreux pour avoir pénétré dans trois élevages normands. Le procureur a requis dix-huit mois de prison, dont six mois fermes à l’encontre des deux meneurs, et pour les autres des peines avec sursis. Le jugement a été mis en délibéré au 5 novembre. Lors du procès, l’incompréhension entre les prévenus et les éleveurs était totale. « On traite nos clients de kapos, de nazis », soulignait l’un des avocats des éleveurs face à des militants qui proclamaient à propos des poulaillers : « Les camps de concentration sont toujours là. On libère des prisonniers. » Libération qui a conduit à la mort de 1 500 dindes. La procureure de la République a appelé à la décence.

Une autre association a surgi en octobre 2018, DxE, antenne française de la californienne Direct action everywhere. Celle-ci « refuse à l’espèce humaine toute spécificité et, a fortiori, toute supériorité ». Ses fondateurs, eux aussi anciens de L214, ont multiplié les intrusions et les vidéos dans les élevages, seuls ou accompagnés, réclamant la complicité de salariés de ces entreprises. Un député de la France insoumise s’est prêté à leur jeu. Ils publient aussi des cartes pour repérer les élevages soumis aux ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement).

Contre l’élevage intensif

Pendant que ses anciens militants étendent les intrusions, L214 élargit toujours son champ d’action : elle a publié une tribune parue dans Le Monde, le 5 septembre, titrée « En finir avec l’élevage intensif, cet ennemi de l’intérêt général ». Elle a été signée par près de deux cents personnalités. Parmi lesquelles, outre un « célèbre » boucher parisien et deux éleveurs, deux associations welfaristes : le président de l’OABA et la directrice de CIWF, Léopoldine Charbonneaux. Celle-ci s’explique : « Nous avons signé la tribune même si nous ne partageons pas l’objectif final. Nous avons les mêmes préoccupations à court terme. C’est ce que l’on porte depuis l’origine, quand un éleveur anglais inquiet du développement de l’élevage intensif a créé CIWF il y a cinquante ans. » Sur le sujet sensible de l’élevage intensif, pas toujours facile de comprendre ce qui distingue abolitionnistes et welfaristes. Ces derniers reconnaissent tous qu’ils étaient peu visibles, peu écoutés, jusqu’à ce que L214, par ses vidéos, donne un « coup de pied dans la fourmilière ». Mais ils manifestent une désapprobation totale sur le but (la fin de tout élevage) et sur les méthodes illégales des abolitionnistes.

Attentes des welfaristes

À l’image de Ghislain Zuccolo, directeur de Welfarm : « Les intrusions intempestives ne font pas avancer la cause animale. Nous ne voulons pas fermer d’abattoirs mais, au contraire, avoir davantage d’établissements de proximité. Le dialogue avec les professionnels est indispensable à notre action. Si autrefois il était compliqué, aujourd’hui il existe. Les professionnels ont compris qu’il vaut mieux accompagner l’évolution des techniques d’élevage et d’abattage que de subir. »

Quelles sont donc les méthodes et les attentes des associations welfaristes qui pourraient influencer dans un avenir plus ou moins proche les conditions d’élevage ? « Nous voulons améliorer les modes d’élevage existants : choisir des souches à croissance plus lente, opter chaque fois que possible pour le plein air ou un accès à ce dernier, travailler sur l’espace disponible, adapter le système d’élevage aux animaux et non l’inverse, leur permettre d’exprimer les comportements de leur espèce », poursuit Ghislain Zuccolo. Les welfaristes veulent la fin de toutes les pratiques douloureuses comme la caudectomie, le broyage des poussins, l’écornage à vif, le transport d’animaux vivants sur longue distance. Ils demandent davantage de contrôles dans les abattoirs, la fin de tout abattage sans étourdissement, autrement dit la fin de la dérogation pour l’abattage rituel.

Chaque association a sa spécialité. L’OABA est reconnue d’utilité publique depuis soixante ans. Elle concentre ses actions sur les abattoirs. C’est grâce à elle qu’a été introduit en France, dans les années soixante, le matador. Cette tige de fer insensibilise les gros bovins avant l’abattage. L’association poursuit son activité en réalisant des audits à la demande des dirigeants des établissements volontaires pour améliorer leurs pratiques. Selon son directeur, Frédéric Freund, la situation évolue positivement depuis la commission d’enquête d’Olivier Florin en 2015. Il y a eu généralisation et formation des responsables de la protection animale : « Nous avons réalisé cinquante audits cette année. Désormais, les abattoirs sont demandeurs. Ces expertises sont une locomotive pour aller vers de bonnes pratiques. Le gros point noir demeure la formation. »De même pour l’accès aux grands abattoirs industriels.

L’OABA est aussi reconnue pour son rôle dans les retraits d’animaux maltraités dans les fermes. Il s’agit d’une trentaine d’interventions par an sur la centaine de cas repérés, qu’elle mène encadrées par la gendarmerie. Activité qui explique la méfiance des éleveurs à son égard. Autre combat poursuivi avec obstination : la fin de l’abattage rituel. Pour l’instant sans succès, sauf pour la viande bio (lire l’encadré ci-contre).

Pas de castration à vif

L’association Welfarm s’est mobilisée pour la fin de la castration des porcelets à vif, mais également sous anesthésie. Son opération contre ce procédé, baptisée « couic-couic », a recueilli 175 000 signatures. Ghislain Zuccolo précise : « Dix millions de porcelets sont castrés à vif chaque année en France. L’Europe interdit cette pratique à plus d’une semaine. Elle est minoritaire en Espagne, aux Pays-Bas. Chez nous, elle est employée dans 85 % des cas. L’interprofession sait qu’il faudra bouger. Nous souhaitons son arrêt pour aller vers l’élevage de mâles entiers ou l’immunocastration, qui bloque temporairement la puberté. Nous ne lâcherons pas, surtout maintenant que la conjoncture s’est redressée. Nous sommes raisonnables mais fermes. »

Ces associations réclament aussi une application plus rigoureuse de la réglementation sur les transports des animaux vivants. Elles ont protesté, cet été, après son maintien malgré la canicule. D’autant que le ministre de l’Agriculture a annoncé un décret jamais paru.

Tenir ses promesses

À ce sujet, Léopoldine Charbonneaux, de CIWF, a remis une pétition de 160 000 signatures au ministère : « Il y a une écoute, mais pas de volonté politique très forte. Les contrôles sur les transports sont peu efficaces, les carnets de route peu vérifiés. Il faudrait appliquer les sanctions et réviser la loi. »

Le sujet phare de CIWF reste les cages : « Nous voulons leur interdiction avec une date butoir. C’est une promesse réitérée du président Macron. Dans la loi EGalim, il y avait un signal positif pour les pondeuses : la fin de tout nouveau bâtiment. Mais les échos sur les premières moutures du décret, qui n’est toujours pas paru, semblent très laxistes sur le réaménagement des anciennes constructions, malgré l’attente sociétale forte sur le hors-cage. Nous craignions que le ministre de l’Agriculture se contente d’instructions qui n’impliquent pas de changement de système de production. » Ghislain Zuccolo poursuit : « Nous restons sur une position mesurée. S’il n’y a pas de foncier, pourquoi ne pas faire de l’élevage au sol, avec un milieu enrichi, des perchoirs, un jardin d’hiver ? Les éleveurs doivent avoir une date pour anticiper ce qui arrivera. »

Pour l’instant, les promesses de la loi EGalim semblent non tenues : peu d’abattoirs volontaires dans la procédure d’expérimentation de vidéos, pas de date pour la fin totale des cages, rien sur l’abattage sans étourdissement. Seule l’expérimentation sur des abattoirs de proximité semble avancer. Les associations welfaristes ne voient rien venir. Au risque de tracer un boulevard aux abolitionnistes.

Marie-Gabrielle Miossec

(1) Régime sans viande ni poisson.

(2) Régimes sans produits animaux, y compris le lait, les œufs et le miel.

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